Accéder au contenu principal

La conception de collections dans les marques enseignes: manifeste pour introduire le processus créatif et la prospective

Alors que les recettes des succès passés n’ont jamais été autant remises en question, l’injonction au renouvellement constant devient de plus en plus prégnante.
Transformer le processus de conception au sein des enseignes de mode impose une réflexion quant aux sources d’inspiration et à la façon dont on abreuve les créatifs de stimulus. Les analyses des ventes des années précédentes, associées à une expertise externe issue des bureaux de tendances, ne permettent plus d’élaborer des territoires créatifs différenciants et encore moins de nourrir les équipes au quotidien.

La nécessité de réduire les délais de renouvellement de collection tout en construisant un territoire style différenciant obligent les marques enseignes françaises à revoir la façon dont elles développent leurs collections. Et les ressources créatives dont elles disposent.
Elles ont, pour beaucoup, intégré des stylistes en interne tardivement, sans pour autant réviser les processus de création des collections.
Alors que les chefs de produit étaient amenés à effectuer quelques modifications sur des produits issus de picking, en s’inspirant des conseils prodigués par les bureaux de tendances; les stylistes subissent aujourd’hui l’injonction à la créativité planifiée, selon des thématiques prémachées et imposées.
Or, la créativité ne se planifie pas mais se cultive et s’entretient quotidiennement.


Comment appréhender la créativité dans un environnement de centrale d’achat?
Dans un processus de création, la capacité à produire des idées émerge à partir de stimulus, et s’inscrit à travers deux démarches.
La première, la pensée divergente-convergente développé par Joy Paul Guilford, se caractérise par un processus en deux temps: la divergence en tant que capacité à générer des solutions multiples à une même problématique, et la convergence qui se singularise par la synthèse et le fait d’aboutir à une solution. C’est de cette confrontation des idées que se nourrit l’imagination. A l’opposé de la pensée unique, donc.
La seconde démarche créative, théorisée par Henri Poincaré, s’inscrit dans trois phases successives: l'imprégnation, l’incubation puis l’illumination.
L’imprégnation est une phase exploratoire d'assimilation des informations (tendances, défilés, prospective); qui est suivie de l’incubation, phase de mise en connexion inconsciente des pistes.
L’illumination se comprend comme l’idéation, c’est à dire la phase pendant laquelle les idées émergent.
Enfin, dans le cadre d’une démarche de création à vocation industrielle, une phase de validation permet de sélectionner les idées les plus pertinentes:




De ces deux démarches, la nécessité de stimuler l’intellect soit par la mise en exergue d’une problématique soit à partir d’une inspiration constante, s’impose comme la condition sine qua non à la créativité.


Par conséquent les créatifs ont besoin, pour être productifs, d’être stimulés en amont des phases de développement produit, et d’être intégrés à la phase dite exploratoire afin d’y trouver de la “nourriture intellectuelle”. Et cela ne peut se faire qu’en repensant les processus de développement produits et en intégrant les phases “imprégnation et d'incubation” dans le rétroplanning de collection pour espérer voir l’idéation se réaliser.
Afin de nourrir quotidiennement les créatifs, il est impératif d’envisager les stylistes comme des “êtres pensants” en mesure de contribuer au défrichage des tendances (phase l'imprégnation et incubation).
Une plateforme de style claire et partagée est alors nécessaire afin d'aligner la vision de chacun des collaborateurs.


La prévision des tendances s’inscrit dans quatres phases successives.
La première, la phase exploratoire, permet d’appréhender les signaux existants, d’enquêter sur les différentes mouvances d’usage, de style et sociétales qui émergent globalement.
La seconde met en lumière les évolutions possibles, au regard d’expressions d’autres secteurs.
Les interviews d’expert permettent ensuite de confronter ces intuitions, afin d’approfondir ou d’abandonner certaines pistes.
Enfin, la phase projective permet d’élaborer des histoires et thématiques, ce sont les prévisions de tendances:


Sources: O.Badot et B.Cova, Un système d'analyse des tendances, Néo-marketing , P207


La prospective n’est plus l’apanage des bureaux de tendances.
Les outils de collecte intelligente de données permettent aujourd’hui d’identifier les signaux faibles, de tracer la propagation de tendances à travers le monde, mais aussi et surtout de développer des “pattern” permettant d’anticiper les tendances.


Le social listening permet de devancer les changements et mutations en détectant de nouveaux styles de vies et habitudes de consommation émergentes. A travers une veille des médias sociaux et forums, il est désormais possible d’obtenir des insights sociétales permettant de nourrir les marques tant en terme de ressource créative que de campagne marketing.
Des solutions de tracking d’influenceur complètent le social listening.


Launchmetrics a détecté six champs d’action permettant de prédire précisément les tendances:
Sources: Launchmetrics, Big Data: Fashion’s New Black


L’intelligence artificielle offre de multiples façon d’appréhender la prospective, que ce soit en repérant les signaux faibles & tendances cachées, en détectant la propagation de tendances, ou encore en élargissant les horizons créatifs. A travers une détection quantitative des mouvances, elle contribue bien plus que ne pourrait le faire une équipe d’experts, à une lecture objective et représentative des insights, qu’elle trie et nettoie afin d’être exploités par les équipes internes.
Dans le cadre d’une marque enseigne, dont la vocation est de s’inscrire dans l’air du temps et non à l’avant garde des tendances, l’exploitation des données comme ressources créatives permet de gagner en agilité.
L’internalisation de cette démarche offre la possibilité aux équipes de s’approprier ces inputs en contribuant aux scénarii qui en résultent.
J’en veux pour exemple Heuritech, qui se positionne en complément des bureaux de tendances en proposant une solution d’analyse qualitative des images que la startup transforme en analyse quantitative afin de confirmer les intuitions des experts.
Dans l’industrie du cinéma, Netflix utilise la collecte de données afin de cadrer l’inventivité des scénaristes.


En combinant toutes les sources cross-channel, et avec l’aide d’algorithme d’agrégation de données, les marques enseignes sont aujourd’hui en mesure d’internaliser la prospective.


Les ressources créatives manquent aux marques enseignes qui ont longtemps cru que l’intégration seule de stylistes en interne, sans faire évoluer les process de collection, suffisait à faire gagner en créativité.
Le processus créatif impose en effet des temps consacrés à l'imprégnation et à l’incubation, dans une démarche exploratoire qu’on ne peut décorréler du design produit.
L’intelligence artificielle est aujourd’hui une ressource dont les groupes devraient s’équiper: “L’IA peut assister les équipes par l’amélioration et la réduction des délais globaux, et en étendant leur champ créatif en analysant et en se remémorant des insights tirés de plusieurs milliers d’images et de vidéos par l’usage de la vision par ordinateur.”
Steve Laughlin, Directeur Général d’IBM Global Consumer Industries

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ce que marque veut dire... de Marie-Claude Sicard

Marie-Claude Sicard , dans son ouvrage intitulé "Ce que marque veut dire..." aborde l'identité de marque comme un ensemble systémique . L'identité de marque, note-elle reprenant une citation de Pierre Tap dans son ouvrage "L'identité" , repose sur "la dialectique du semblable et du différent". De fait, il n'y a d'identité que dans la différence. L'auteure rappelle par ailleurs que l'identité visuelle n'est qu'une des composantes de l'identité de marque, au même titre que le prix, les produits, al publicité, le système de vente et l'ensemble des individus qui l'incarne. Elle interroge le modèle du marketing-mix, dont un quart représenterait la communication alors que, selon elle, tout communique: le produit, le prix, la distribution. "Tout ce que fait une marque est un acte de communication: la conception d'un produit, sa politique de prix et de distribution, la fiabilité de ses services, sa

Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation de Gilles Lipovetsky

"La révolution de la consommation a été elle-même révolutionnée." C'est ainsi que Gilles Lipovetsky introduit sont ouvrage intitulé "Le bonheur paradoxal", un essai partant du constat qu'une nouvelle phase du capitalisme de consommation a émergé: la société d'hyperconsommation . A travers cet ouvrage, Gilles Lipovetsky nous offre les clés afin d'appréhender l'évolution de notre rapport à la consommation, abreuvées de considérations économiques, sociologiques et philosophiques. Qu'est ce que la société d'hyperconsommation? "La société d'hyperconsommation coïncide avec un état de l'économie marqué par la centralité du consommateur" nous indique l'auteur. Plusieurs phases sont énumérées dans l'histoire de la société de consommation: 1880/1945 illustre la période de mise en place du capitalisme de consommation et de développement de la production de masse (taylorisme/fordisme). Cette période voit naître

Le marketing expérientiel, Vers un marketing de la cocréation; de Claire Roederer et Marc Filser

Claire Roederer et Marc Filser nous proposent une petite histoire du marketing expérientiel étoffé d'exemples concrets pour cette deuxième édition de leur ouvrage intitulé "Le marketing expérentiel; Vers un marketing de la cocréation". Quelques bases pour débuter, avec le rappel des origines du marketing dit "traditionnel", comme un modèle issu de l'économie centrée sur la valeur intrinsèque des ressources d'échange, dans une logique de GOOD-DOMINANT, alors que l'économie contemporaine est dominée par les services, eux-mêmes renforcés par la révolution numérique. Dès lors, la logique de SERVICE-DOMINANT est enclin à esquiver le GOOD-DOMINANT, avec pour principes la culture de l'organisation en tant que SOURCE DE CONTROLE et D'INSPIRATION, les pratiques organisationnelles CROSS-FONCTIONNELLES, le souci de produire des SOLUTIONS CLIENTS, mais aussi de gérer la COPRODUCTION avec le consommateur et la COCREATION GLOBALE DE VALEUR. Le market